
Michel était loin de demander réparation pour son traumatisme, tout comme les soldats de son époque, ils n’en parlaient pas et leurs souffrances étaient si peu reconnues et tellement sous-évaluées… Ils étaient loin de s’imaginer qu’une loi pouvait leur accorder un droit à réparation et encore moins pour une pathologie dont personne ne parlait et dont ils n’en connaissaient pas eux-mêmes le nom.
De manière générale, Louis Crocq expliquait que ce sont les hôpitaux qui montaient les dossiers pour les combattants lorsqu’il leur était diagnostiqué un traumatisme de guerre par un psychiatre compétent. Mais là, ils se heurtaient à un second manque manifeste de reconnaissance : celui des experts psychiatres et de l’administration.
La manière dont les experts évaluaient les trauma de guerre montre bien les réticences aux conséquences désastreuses qu’avaient certains psychiatres de l’époque.
1670 – Louis XIV fonde l’institution des invalides, véritable hôpital hospice pour recueillir et soigner les anciens soldats
11 avril 1831 – Une loi d’assistance est promulguée pour l’aide aux militaires invalides
31 mars 1919 – On reconnait pour la première fois à l’individu le droit à réparation pour les dommages de santé subis du fait de la guerre – Etablissement d’un barème pour l’évaluation des différentes infirmités
24 avril 1951 – Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre

1956 – Création d’un guide barème pour les médecins experts, réédité en 1961 et 1963
- Bénéficiaires désignés par la loi du 31 mars 1919 : les militaires et civils victimes de la guerre, les veuves les orphelins, les ascendants dans certaines conditions
- Bénéficiaires désignés après la seconde guerre mondiale : Forces Françaises Libres, Forces Françaises de l’Intérieur, Agents de la défense passive, Postiers des armées, Sapeurs-Pompiers, Marins de commerce, Alsaciens Lorrains enrôlés de force dans l’armée allemande, Jeunes gens ayant effectué le service des chantiers de jeunesse
Des dispositions spéciales sont prises pour les déportés et internés politiques avec l’édition d’un guide barème adapté à la « pathologie spéciale des déportés » par la loi du 6 août 1948, ce qui leur permettra de bénéficier d’une législation adaptée.

Application de la Loi du 31 mars 1919 pour les résistants hors déportation et les populations civiles
Pour les autres patients souffrant de séquelles psychiques de guerre, qu’il s’agisse des Première ou Seconde Guerres Mondiales, guerre d’Indochine ou d’Algérie, le processus de réparation fut peu ou mal appliqué, notamment par l’insuffisance et le flou des barèmes qui leur étaient réservés.
Le barème de 1929 ne reconnait pas la névrose de guerre et cela restera le cas jusque 1960. Encore dans les années 1990, de vieux experts persisteront à nier l’existence de la névrose traumatique et de tout syndrome similaire.
1985 – Louis Crocq et d’autres psychiatres présentent une communication sur ce problème lors d’un congrès : « les névroses traumatiques doivent être reconnues et indemnisés » et y rappellent ainsi les principales difficultés rencontrées avec les experts :
- Ignorance de l’existence de la névrose de guerre
- Ignorance du temps de latence et de l’évolution chronique du traumatisme de guerre
- Tendance à étendre volontairement au passé du sujet sa pathologie présente en excluant volontairement les faits de guerre
- Termes désuets des barèmes législatifs non adaptés à la pathologie
- Réticence à tenir compte des critères d’adaptation sociale pour évaluer le degré de l’invalidité réelle
Cela engendrait des rejets de demande de pension scandaleux.
10 janvier 1992 – Etablissement d’un décret déterminant officiellement les règles et barèmes pour la classification et l’évaluation des troubles psychiques de guerre.
Malheureusement, il sera très peu appliqué par les experts psychiatres de l’époque, majoritairement réfractaires au principe de névrose de guerre…
- Attitude de méconnaissance ou de déni opposée par certains experts par rapport à l’identification du syndrome psycho-traumatique
- Des experts qui regroupent tous les symptômes constitutifs du traumatisme de guerre sous une étiquette autre (ex. un état anxiodépressif qu’ils relient à un évènement de la vie courante du patient en ignorant les faits de guerre)
- Ceux qui bannissent le syndrome psycho-traumatique de leur vocabulaire pour des raisons doctrinaires
- Le comportement de certaines instances administratives chargées d’examiner les demandes de pension et de statuer sur leur bien fondé : tout se passe parfois comme si elles avaient reçu des instructions pour ne pas appliquer, sous divers prétextes, les dispositions du décret de 1992
Cette situation est un manque de reconnaissance supplémentaire ajouté à celui déjà existant de certains résistants au lendemain de la libération.
