Biographie

       Poète avant tout et auteur de romans fantastiques et policiers, Michel Bernanos naquit le 20 janvier 1923 à FRESSIN (Pas-de-Calais). Passionné par le Brésil où sa famille avait décidé de vivre de manière aventureuse, il y fera notamment évoluer un grand nombre de ses personnages romanesques.

À partir de sa huitième année et au rythme des déménagements successifs de ses parents, l’écrivain Georges Bernanos et son épouse Jeanne née Talbert d’Arc, Michel va beaucoup voyager, l’empêchant ainsi de suivre une scolarité régulière.

C’est ainsi qu’il vit près de Hyères, à la BAYORRE, de juillet 1931 à octobre 1934.1

©Michel Bernanos, 6 ans

Eté 1931, au cours d’un séjour près d’AVALLON chez des amis de la famille, Marie Vallery-Radot qui a dix-huit ans à l’époque, enseigne les premières bases de lecture à ce petit garçon qu’elle décrit ainsi2 :

C’était en 1931. Je verrai toujours ce délicieux  garçon blond – une minuscule tache de rousseur sur le bout du nez – tout saturé de soleil […]. Sa valise était, sinon pleine de sable et d’air salé, emplie de petites chemises et shorts multicolores, insolites dans notre Morvan sévère, sauvage et traditionnel. Tel nous est arrivé Michel. Il avait huit ans – j’en avais dix-huit – vif, joyeux, affectueux, rêveur, attachant. Et ce rire ! Le rire Bernanos, éclatant et irrésistible.

        Alors à MAJORQUE où la famille s’installe en 1934, la guerre civile éclate en Espagne. Michel a seulement 11 ans, il suit quelques mois de scolarité dans un pensionnat du sud de la France et retrouve régulièrement les siens en Espagne.

Jalonnées d’exactions en tous genres par le régime de Franco, les rues de PALMA DE MAJORQUE deviennent trop dangereuses pour les plus petits de la fratrie. C’est ainsi, qu’après avoir porté soutien et secours aux populations civiles au péril de leur vie, Georges et son fils Yves se décidaient à rentrer en France avec le reste de la famille au 27 mars 1937.

        En 1938, Michel, qui a maintenant 15 ans, embarque à MARSEILLE pour rejoindre le PARAGUAY (Amérique du Sud), pays dans lequel son père souhaite créer une exploitation agricole avec sa femme et leurs six enfants. Après une escale à DAKAR, puis à RIO, et enfin à BUENOS AIRES où ils restent une semaine avant de rejoindre ASUNCION au Paraguay, ils retournent au BRÉSIL quelques jours plus tard.3

Le BRÉSIL devient la terre de cœur de Michel. C’est à partir de cet instant qu’il commence à rédiger ses premiers poèmes. Il ne cessera plus d’écrire.

©Michel Bernanos et « Napoléon Bidet Bonaparte »

La famille Bernanos s’installe successivement à RIO DE JANEIRO, puis à ITAIPAVA et JUIZ DE FORA. De 1939 à juillet 1945, la tenue de trois fazendas se succèdent (VASSOURAS, puis PIRAPORA et enfin BARBACENA dans l’état du MINAS GERAIS). La famille y élève des chevaux, des zébus et s’essaye également à la culture.45

Quand le jeune Michel revenait de la grande ville, scolarisé à l’époque au lycée français de RIO DE JANEIRO, il menait là, dans ces grands espaces, entre ciel et terre, une vie de cavalier spécialisé dans le dressage des poulains, apprenant à monter comme les gauchos sans selle ni éperons. Les demi-sang issus de barbes étaient élevés pour l’armée, les petits étant réservés aux vachers. Il arrivait ainsi à notre cavalier d’effectuer dans une journée de dix heures, cent cinquante kilomètres sur des bêtes que l’on ne montait que tous les trois jours pour ne pas les épuiser totalement. Ces montures ne servaient du reste que trois mois par an, ce qui nécessitait dans l’année, et dans un pays où les juments ne sont jamais montées, vingt chevaux par berger.

        Septembre 1942, en pleine seconde guerre mondiale Michel a 19 ans. La majorité civile étant fixée à l’âge de 21 ans pour l’époque, il se présente au Comité de la France Libre afin de s’engager volontairement dans les Forces Navales Françaises Libres et arrive à passer les contrôles jusqu’en Argentine malgré son jeune âge.678

Sa sœur Claude décrit ainsi le contexte de son engagement9 :

[…] Un mois après il est parti sans rien dire à personne. J’ai été inconsolable et seule. J’ai reçu une lettre de lui, d’Argentine. Il a été arrêté car il était trop jeune. Il voulait rejoindre les résistants en Angleterre, mais ne pouvait continuer son chemin qu’avec la permission de son père. Et papa l’a donnée. Je ne l’ai revu qu’à notre retour en France. […]

Une fois arrivé à Londres et après avoir suivi les premiers mois de formation nécessaires, Michel est affecté en tant que Matelot canonnier jusque décembre 1944, au Chasseur de sous-marins 12.10

Le Chasseur 12, principalement basé dans la Manche et en mer du Nord, est notamment chargé d’effectuer des repérages de sous-marins ennemis, des missions de mouillage de mines, secourir les bateaux en difficultés en haute mer, protéger les convois le long du Mur de l’Atlantique. Il participe également aux opérations du débarquement du 6 juin 1944 aux cours desquelles il fut amené à secourir une barge en difficulté au large de l’Ile de Wight aux fins de la remorquer jusque sur les côtes Normandes, à proximité de Port-en-Bessin, puis à la bataille navale de Normandie qui ne prenait fin qu’à la mi-août 1944.11

Le Chasseur 12 et son équipage recevaient une citation à l’Ordre en 1945, mettant à l’honneur les valeurs de courage et d’énergie dont l’équipage faisait preuve au cours des missions confiées.

©Le chasseur Q012-Benodet

A compter de décembre 1944, Michel fut désigné garde du corps de l’Amiral Muselier avant d’être affecté à la mission militaire des affaires allemandes de début 1945 jusqu’à sa démobilisation en mars 1946.121314

        En 1946, alors âgé de 23 ans, Michel retourne au BRÉSIL. Il y trouve un emploi à MANAUS (Etat de l’Amazonas) dans l’exploitation des hévéas principalement destinés à l’extraction du caoutchouc.

Les balles de caoutchouc liées par les indiens d’Amazonie, 1920

Il était chargé de contrôler les balles de caoutchouc rapportées par les indiens sur un secteur déterminé pour un salaire particulièrement confortable faisant ainsi office de prime de risque. Il est important de spécifier que cet emploi était particulièrement craint, car celui qui s’attelait trop sérieusement à la tâche confiée risquait d’y rester. Michel négociait ainsi avec les indiens, qu’il savait largement sous-payés pour le travail effectué, un pourcentage supplémentaire sur chaque balle apportée non trafiquée. Il transforma ainsi son secteur en l’espace où l’on trouve les balles les moins truquées d’Amazonie.

Toujours du côté des minorités, Michel n’hésitait pas à défendre les indiens qui étaient dans son équipe à la moindre situation lui paraissant injuste. Par ailleurs, ses différentes expéditions dans la forêt amazonienne se retrouvent aisément à la lecture du Murmure des dieux.15

        Courant avril 1948, il retourne en France à la demande de son père tombé gravement malade, qui décédera le 5 juillet 1948.

Il travaille ensuite deux ans à ALGER dans une société pétrolière (de 1948 à 1950).

Cependant, afin de rester aux côtés de sa mère à laquelle il est très attaché, Michel décide de s’installer définitivement à PARIS.1617

        Michel exerce ensuite différents métiers.

Il collabore avec son ami Robert Laffont au lancement du dictionnaire des œuvres jusqu’à fin 1956. Puis il devient attaché de direction à la société d’Édition Photographique et Technique (SEPT) qu’il quittera après sa dissolution.

©Michel Bernanos et Jean-Louis Rabate

Dans le même temps, il participe comme acteur à un court-métrage tourné par Jean-Louis Rabate et Pierre Jacquemin, la répétition, et fait de la figuration dans Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson.

De 1959 à 1960, il est chargé par l’Office de Documentation par le Film de contacter les milieux administratifs et officiels en vue de rechercher les services intéressés à la réalisation et à la diffusion de films d’information.

Michel travaille ensuite à l’agence de voyages Worms du 15 décembre 1960 au 1er juin 1963 en qualité de démarcheur aux côtés de son ami de l’époque, Dominique de Roux, écrivain et éditeur français.18

        Le 6 août 1960, Michel doit faire face au décès de sa mère. Le poème Solitude lui sera consacré.

        Souhaitant se distinguer de son père, Georges Bernanos, tous ses écrits sont publiés sous les pseudonymes DROWIN, puis TALBERT. Lorsqu’on lui en demande la raison, Michel répond : « Par exemple, si je vois un livre de Dostoievsky, je ne suis pas obligé de me rappeler que son prénom est Fédor. Le brave type qui prendrait mon livre et se retrouverait nez à nez avec un anaconda au lieu d’un curé de campagne, il ne serait pas content.» 19

©Michel et Georges Bernanos

Michel vouait un profond respect à son père. Tout comme ce dernier, il sent qu’il aime l’écriture, qu’elle fait partie de lui et de sa vie. Ses poèmes sont révélateurs à cet égard, elle en deviendra même nécessaire à sa survie.

Ecrire était son exutoire, mais au regard de la société qui le voyait comme « le fils de », la reconnaissance de son identité littéraire était souvent mise à mal. Réussir à se faire un nom, son nom, ne pouvait qu’être une entreprise difficile, délicate et … courageuse.

Michel était d’un caractère entier et spontané comme son père en avait donné l’exemple fascinant à son enfance, il vivait dans son univers bien à lui. Cependant, jugé de santé fragile à son retour de la guerre, il se mit à manifester deux facettes différentes : celle du boute-en-train à l’esprit bon enfant mais aussi celle d’un homme sans cesse en quête de lui même et terriblement seul. Solitude face à laquelle les mains tendues par son entourage, même le plus proche s’avérèrent en définitive impuissantes.202122

©Michel Bernanos

        C’est dans ce contexte et en quatre années seulement que Michel écrit l’intégralité de ses œuvres romanesques, dont notamment :

  • Le Murmure des Dieux, premier roman dont il entreprenait la rédaction après le décès de sa mère. Finalisé fin 1960, il lui sera par ailleurs consacré.
  • L’envers de l’éperon, commencé en décembre 1960 est achevé en mai 1961,
  • La grande Bauche, son premier roman policier, est achevé au printemps 1962,
  • Les nuits de Rochemaure, second roman policier, est achevé au cours de l’été 1962,
  • On lui a fait mal, est achevé en février 1963, mais restera inédit jusqu’en 1996, son éditeur le jugeant trop série noire pour la collection à laquelle il le destinait,
  • La montagne morte de la vie, second roman fantastique, considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre de la littérature fantastique, est écrit en 19 jours seulement (mai 1963),
  • Le mort veille, nouveau roman policier, est achevé en juin 1963,
  • La neige qui tue est rédigé en juillet 1963. Ce roman policier est sélectionné parmi les 10 meilleurs pour le prix du Quai des orfèvres de 1964. Ce texte a dû être retravaillé par Michel afin de le présenter une seconde fois car, voulant dénoncer la corruption au sein des services de police, il fut jugé trop engagé par le jury de l’époque.23

Il rédige également diverses nouvelles, dont Ils ont déchiré son image et La forêt complice, dernière nouvelle qui sera publiée et qu’il aura l’occasion de découvrir la veille de son départ dans la revue Marie-Claire.24

        Le 27 juillet 1964, Michel a seulement 41 ans, il quitte son domicile, un grand sac de voyage vide sous le bras. On le retrouve au cœur de la forêt de Fontainebleau. Il a mis fin à ses jours.

Ce départ volontaire consterna ses amis et surprit ceux qui ne voyaient en lui que l’adolescent et le jeune homme, le joyeux compagnon dont ils partagèrent pendant des années, la facétie, les canulars, les enthousiasmes et les indignations.25

La plupart de ses œuvres seront publiées à titre posthume avec l’important concours de son épouse, Sylviane, convaincue, et à raison, du génie littéraire de son mari.


Notes et références
  1. Georges Bernanos, Jean-Loup Bernanos, Paris, Plon, 1988. Iconographie, pp. 82 à 87 []
  2. La jeunesse de Michel, Marie Brusset-Vallery-Radot, Les Cahiers Bleus n°46, Hiver 1988-1989 – 1er Trim. 1989, pp.11 à 13 []
  3. Georges Bernanos, Jean-Loup Bernanos, Paris, Plon, 1988. Iconographie, pp.109 à 121 []
  4. Georges Bernanos à la merci des passants, Jean-Loup Bernanos, Plon, 1986,  pp.305 à 408 []
  5. Témoignage de Sylviane Bernanos, Points de repère, archives personnelles, Sylviane Bernanos, p.1 []
  6. Services historiques de la Défense (SHD) – Dossier administratif de résistantes et résistants http://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr []
  7. Liste des marins FNFL, mise à jour du 29 novembre 2011, Michel Bernanos – matelot canonnier – Date de ralliement : sept. 1942 – Date d’engagement 11 mars 1943 – Matricule 779 FN42, Grade : matelot canonnier – Caserne Surcouf, Caserne Bir-Hakeim, maison de convalescence Beaconsfield, chasseurs. http://www.charles-de-gaulle.org []
  8. Musée de l’Ordre de la Libération – Hôtel National des Invalides – Paris 7ème – Vitrine consacrée à Michel Bernanos, comprenant notamment son acte d’engagement dans les Forces Françaises Libres du 11 mars 1943 []
  9. Témoignage de Claude Bernanos sur son frère Michel, La jeunesse de Michel, Marie Brusset-Vallery-Radot, Les Cahiers Bleus n°46, Hiver 1988-1989 – 1er Trim. 1989, pp.11 à 13 []
  10. Michel embarquait le 30/01/1943 pour Londres par le MELBOURNE STAR de la BLUE STAR LINE, bateau qui sera coulé 2 mois plus tard, au 2 avril 1943, par une torpille ennemie dans l’océan atlantique – seuls 4 survivants sur 116 membres de l’équipage – Les bateaux de la BLUE STAR LINE étaient officiellement des bateaux de la marine marchande conçus pour transporter des passagers et des marchandises réfrigérées. Pendant la 2nde guerre mondiale ils étaient officieusement chargés de l’apport de nourriture et de munitions de guerre à la Grande-Bretagne. La BLUE STAR LINE avait 41 navires dispersés à travers le monde, 29 navires ont été perdus par l’action ennemie. Source : http://www.melbournestar.co.uk/ []
  11. Regroupement d’informations via : Source 1. Cols-Bleus – Marine Nationale, n°3079 – Juin 2019, p.21 – Source 2. Historique des Forces Navales Françaises Libres, Tome 2, Travail établi par les archives de la Marine par le VAE (cr) E.Chaline et le CV (h) P. Santarelli – Source 3. Gaston Ozenda, Quartier Maître de Manoeuvre, Chasseur 12 Bénodet – francaislibres.netSource 4. Georges Bernanos à la merci des passants, Jean-Loup Bernanos, Plon, 1988, pp.397 – Source 5. Les cahiers bleus n°46, Hiver 1988-1989 (1er trim. 1989), « La grande aventure de la France Libre », Jean Livet, p.21 à 24 []
  12. Certificat de bonne conduite de l’Amiral Muselier1er avril 1946, archives personnelles []
  13. La grande aventure de la France Libre, Jean Livet, Les Cahiers Bleus n°46, Hiver 1988-1989 – 1er Trim. 1989, pp.21 à 24 []
  14. Instituée par décret du 18 novembre 1944 et placée sous l’autorité du Général Koeltz, la Mission Militaire pour les Affaires Allemandes MMAA est chargée de la coordination des mesures concernant les intérêts de la France en Allemagne occupée. []
  15. Michel Bernanos, L’insurgé, Salsa Bertin, Préface de Michel Estève, Editions de Paris, 241 p. []
  16. Le Cycle de la Montagne Morte de la Vie, Fleuve Noir, « Super-Poche », 1996, p.674 []
  17. Documentation personnelle familiale []
  18. Le Cycle de la Montagne Morte de la Vie, Fleuve Noir, « Super-Poche », 1996, p.673 []
  19. Interview de Michel Bernanos, France-soir, publication du 7 mai 1964 []
  20. Les Cahiers Bleus n°46, Hiver 1988-1989 – 1er Trim. 1989, « Depuis nous le cherchons », Jacqueline de Roux-Brusset, pp.16 à 18 []
  21. Les Cahiers Bleus n°46, Hiver 1988-1989 – 1er Trim. 1989, « La grande aventure de la France Libre », Jean Livet, pp.21 à 24 []
  22. La Montagne Morte de la Vie, Jean-Jacques Pauvert Editeur, 1972 – 2ème trim., Dormez, vous serez heureuxPostface de Dominique de Roux, pp.153 à 162 []
  23. Le Cycle de la Montagne Morte de la Vie, Fleuve Noir, « Super-Poche », 1996, pp.674 à 675 []
  24. Ils ont déchiré son image, Marie-Claire, août 1964, n°18, 3 illustrations de G.Pascalini, pp.104, 154-158 []
  25. Etude des poèmes de Michel Bernanos par Pierrette SARTIN, poétesse et psychosociologue []